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EMPIRE AMÉRICAIN
Empire contre mondialisation

En cherchant à imposer un ordre à l'échelle de la planète, l'administration Bush menace les principes de l'économie mondialisée, estime le grand commentateur politique William Greider.

Article de l'hebdo new-yorkais "The Nation".
Publié et traduit dans
Courrier International du 24 Avril 2003

 
La mondialisation libérale peut-elle survivre dans un monde dominé par la puissance militaire écrasante d'un seul Etat? Ces derniers mois, la guerre a quasiment fait disparaître l'économie mondiale du débat politique. Les partisans d'une mondialisation menée par les grandes entreprises doivent pourtant comprendre que leur vision du nouvel ordre mondial est totalement incompatible avec celle de George W. Bush.

Qui contrôlera l'avenir du monde? Les marchés mondiaux ou les Etats? Le régime de la mondialisation favorise un marché sans entraves comme instrument d'organisation des relations internationales. L'autre régime compte sur la puissance militaire traditionnelle de l'Etat-nation - les Etats-Unis en l'occurrence - pour imposer sa volonté aux autres (...). Il est vrai qu'au fil de l'Histoire capitalisme et interventions militaires sont souvent allés de pair. Mais ce système, que l'on appelle colonialisme, contredit les principes revendiqués de la mondialisation, ou du moins, montre sous leur véritable jour les nobles objectifs qu'elle affiche.
 

L'abandon de la "main invisible du marché" pour un poing très visible

Les contours de ce conflit apparaissent aujourd'hui clairement, même si on se refuse encore à l'admettre, notamment à Washington. Pour Paul McCulley, directeur général de PIMCO, leader mondial de la gestion obligataire, "l'impérialisme américain signifie, par définition, l'abandon du capitalisme mondial, l'abandon de la main invisible des marchés au profit du poing très visible des Etats", écrit-il. Il s'agit là d'un "changement de régime" que les va-t-en-guerre n'avaient peut-être pas prévu, mais dont les conséquences sont implicites dans leur volonté de voir les Etats-Unis prendre le contrôle du pétrole irakien. (...)

Obnubilé par la guerre contre l'Irak, Washington a semblé oublier que l'économie mondiale n'a pas encore pansé ses blessures. Lorsque la guerre sera finie, cette inquiétante réalité reviendra s'imposer brutalement. Les craintes ne concernent pas seulement l'économie américaine affaiblie. C'est tout le système international qui ne s'est toujours pas relevé de la grande crise financière de 1997-1998. Les Etats-Unis ne se sont pas davantage remis de l'éclatement de la bulle boursière américaine. Aujourd'hui, tous les indicateurs économiques sont à nouveau pointés vers le bas, alors même que les Etats-Unis accusent des déficits commerciaux records. Si les ardents défenseurs de la mondialisation avaient compris les profondes implications économiques de la guerre de Bush, ils auraient exigé eux aussi le retour des troupes au pays.

 
William Greider

Article publié dans Courrier International du 24 Avril 2003