Le 14
Octobre 1998, à l'occasion d'une question
posée par Robert Hue à l'Assemblée
Nationale, Lionel Jospin annonçait que la France ne
participerait plus aux négociations de
l'AMI.
Voici donc
le texte intégral de sa déclaration qui
définissait la position officielle de la France sur
l'AMI, même si 2 ans après cette
déclaration, Lionel Jospin a effectué un
virage
à 180 degrés en
faveur de la mondialisation libérale.
Assemblée
Nationale, 2ème séance du Mercredi 14 Octobre
1998
Robert
Hue - Monsieur le
Premier ministre, les négociations sur le projet AMI
doivent reprendre à l'OCDE le 20 octobre. Chacun se
souvient de l'émotion soulevée au printemps
dernier par ce projet, qui a suscité un vaste
mouvement de protestation de personnalités et
d'organismes divers. La fin de non-recevoir du Gouvernement
français a fortement contribué à son
report, tout comme l'opposition de la France a porté
un coup sévère au projet transatlantique dit
NTM, concocté par M. Brittan, au nom de la
Commission, et par l'administration américaine.
Depuis lors ces tractations ont connu de nouveaux
développements. Le 18 mai à Londres, en marge
du sommet Europe-Etats-Unis, un arrangement a
été conclu. Il inspire une nouvelle mouture du
NTM, dite "partenariat économique transatlantique",
à l'initiative du même M. Brittan, et qui
entérine notamment les lois extraterritoriales
américaines. Après plusieurs parlementaires
communistes, notamment Jean-Claude Lefort auprès de
Mme Lalumière, je souligne notre totale opposition
à l'AMI, en raison des menaces qu'il fait peser sur
nos choix politiques et sociaux comme sur notre
souveraineté. Nous ne saurions cautionner un tel
accord, même sous un habillage plus
présentable: nous souhaitons son abandon. Pouvez-vous
nous faire part des intentions du Gouvernement, à la
veille de la reprise des négociations, et nous dire
comment vous entendez mener celles-ci dans la transparence,
notamment en y associant la représentation
nationale?
(Applaudissements
sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du
groupe Radicaux de gauche-mouvement des Citoyens-Verts et
sur quelques bancs du groupe du RPR.)
Lionel Jospin, Premier
Ministre
-
En 1995, dans le cadre de l'OCDE, ont été
engagées des négociations sur un accord
multilatéral sur l'investissement, sans
véritable transparence alors comme depuis. En
février 1998, quand sont apparus les vrais enjeux et
les risques du projet, et quand l'émotion s'est
emparée d'une partie de l'opinion en France, mais
aussi dans d'autres pays, le Gouvernement, notamment par la
voix de M. Strauss-Kahn, a immédiatement posé
quatre conditions à la poursuite de la
négociation. Tout d'abord, l'exception culturelle:
les biens culturels ne sont pas des marchandises. Ensuite,
le refus d'accepter dans le mécanisme de l'accord les
lois extra-territoriales américaines, dont nous
refusons l'application sur notre territoire.
(Applaudissements
sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et
du groupe RCV)
Troisièmement, le respect des processus
d'intégration européenne. Enfin, celui de
normes sociales et environnementales.
En avril 1998, voyant que les choses ne pouvaient être
clarifiées, le Gouvernement a demandé et
obtenu une suspension des négociations pour six mois,
afin de procéder à une évaluation et de
consulter la société civile. Fin mai, j'ai
chargé Mme Catherine Lalumière,
députée au Parlement européen, de mener
cette consultation. Durant de longues semaines, dans un
remarquable travail, elle a rencontré les
organisations non gouvernementales, les associations
concernées, les milieux culturels, les organisations
syndicales, les représentants des
fédérations professionnelles et des
entreprises. Mme Lalumière m'a remis son rapport
avant-hier. Les conclusions en sont claires. La contestation
de ce projet ne porte pas sur des aspects sectoriels ou
techniques, mais sur la conception même de cette
négociation. Celle-ci pose notamment des
problèmes fondamentaux touchant à la
souveraineté des Etats, puisqu'ils sont soumis de
s'engager de manière irréversible.
Un
député UDF-
C'est comme Amsterdam !
Lionel
Jospin- Une chose est
de procéder à des délégations de
souveraineté dans une Communauté qui est la
nôtre, et dans un processus contrôlé par
les Etats; une autre chose est de concéder des
abandons de souveraineté à des
intérêts privés !
(Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et
du groupe RCV)
Mais même du point de vue de
nos entreprises -et nous sommes un pays qui investit
puissamment à l'extérieur- l'accord pourrait
n'avoir qu'un intérêt limité. Certains
Etats en effet, et d'abord les Etats-Unis, ont mis des
réserves considérables sur le contenu
même de cet accord. La position américaine
comporte quatre cents pages de réserves, dont
celle-ci : l'accord ne pourrait s'appliquer aux Etats-Unis
que dans la mesure où il ne remet pas en cause les
compétences des Etats fédérés.
Or la portion du territoire américain ne relevant pas
d'Etats fédérés est plutôt
réduite...
(Rires
et applaudissements sur les bancs du groupe
socialiste)
Dans ces conditions, le rapport
conclut que l'accord n'est pas réformable. Mme
Lalumière propose de rechercher un nouvel accord,
d'une architecture différente, dans le cadre de
l'OCDE ou de l'OMC.
Je vous annonce que la France ne reprendra pas les
négociations dans le cadre de l'OCDE le 20
octobre.
(Applaudissements
prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du
groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du
groupe du RPR)
Nous avons commencé
à en informer nos interlocuteurs. La France proposera
à ses partenaires de reprendre les
négociations sur les problèmes
d'investissements sur des bases totalement nouvelles et dans
un cadre associant les pays en voie de développement.
Ce cadre, à nos yeux, est tout naturellement l'OMC,
dont les modes de travail, l'approche progressiste et le
caractère universel garantissent un examen
sérieux et équilibré.
La France souhaite rester un pays ouvert aux entreprises
étrangères et aux investisseurs et elle est
soucieuse d'appuyer le développement international de
ses propres entreprises. Mais quand on voit les
bouleversements récents, hâtifs et parfois
irraisonnés, qui ont secoué les
marchés, il ne nous paraît pas sage de laisser
les intérêts privés mordre trop sur la
sphère de souveraineté des Etats. Ceux-ci
doivent rester des acteurs majeurs dans la vie
internationale.
C'est dans cet esprit que nous reprendrons les discussions
et la représentation nationale en sera tenue
informée.
(vifs
applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du
groupe communiste et du groupe RCV et quelques
applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)
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